Récit de ma première expérience en vol bivouac. Départ de Chamonix et direction la Suisse en remontant la vallée du Rhône. Une mini aventure de quelques jours riche en apprentissage et pendant laquelle j’ai pu survoler d’incroyables paysages.

Réaliser un vol bivouac de plusieurs jours dans les Alpes était un de mes objectifs principaux de 2020. Mon idée était de voyager une semaine à pieds et en parapente en partant de la maison, Chamonix. Pas de destination particulière, ça sera la météo qui décidera de la direction à prendre. 

J’avais prévu de faire ce vol bivouac début septembre pour profiter d’une météo assez stable, limitant ainsi les risques d’orages. 

J’ai réalisé une super saison d’apprentissage en vol de distance malgré l’absence de printemps (record perso qui passe de 30km à 150km). Un bon volume d’heures de vol qui m’as permis de bien prendre en main ma nouvelle voile (Airdesign Soar). Je suis vraiment à l’aise dessous.  
J’ai pu tester tout mon équipement de bivouac, panneau solaire, etc lors de petits vols.

Tout semble réunis pour se lancer dans l’aventure !

Faux départ

3 septembre. Ça y est, j’ai décidé de me lancer. Direction la Suisse, sans objectif précis. Le but est d’avancer le plus possible vers l’est. C’est un beau challenge pour moi car je ne suis jamais allé plus au nord que les Aiguilles Rouges. Dès la première heure de vol passée, je serai déjà projeté dans l’inconnu.
J’aimerais partir entre 5 et 10 jours. Les prévisions des prochains jours semblent correctes. Le bulletin à moyen terme est plutôt optimiste. Je bloque 2 semaines de congés pour me laisser des marges de manœuvre et ne pas avoir la contrainte du retour en tête.

Le sac est fait, direction Planpraz après un arrêt à la boulangerie pour prendre un sandwich. Montée en benne. C’est la seule aide mécanique que je m’autorise pour ce voyage.

Décollage à 11h15. Je monte rapidement au-dessus du Brévent puis direction le col des Montets. Je traîne un peu en chemin à l’Aiguille Pourrie puis je finis par fuir un peu en avant mais finalement tout se passe bien et je peux traverser en direction de la Loriaz. Ici c’est plus compliqué. Je gratte, je cherche l’ascendance au-dessus des chalets de la Loriaz et je vais même jusqu’au barrage d’Emosson par le bas avant de revenir à l’Aiguille de la Loriaz. Enfin je sors ! 45 min de perdues… Je suis un peu brassé par cette dépense d’énergie et les thermiques un peu péteux de la basse couche.

survol du lac d'emosson en parapente

Pas de problème particulier jusqu’au Luisin. Dernier sommet avant d’effectuer la grande transition au-dessus de Martigny. Mais un voile nuageux arrive et tout passe à l’ombre. Je passe 45 minutes en mode survie. Je vois une bande de ciel bleu arriver progressivement vers moi, c’est ce qui me permet de garder espoir. Je finis par atteindre péniblement 2500m d’altitude quand le soleil revient. C’est moins que le nécessaire pour assurer un raccrochage confortable en Suisse. Mais je n’aurai pas mieux aujourd’hui alors je fonce. J’arrive en face à 1600m. C’est bas ! Je me fais bien chahuter en passant sous le vent de la crête qui descend de la Tête du Portail. J’avance en remontant la vallée du Rhône. Je suis au niveau de la forêt, entre 1400 et 1500m. Rien à enrouler… Par moment je zérote un peu, ce qui me permet de gagner du terrain. J’ai bien chaud à cette altitude et je suis déjà bien fatigué de ce vol qui s’est révélé être demandant. J’aperçois plus loin un petit village avec des champs. Il est à mi-hauteur entre le fond de vallée et les sommets sous lesquels j’évolue. J’en fait mon objectif pour ne pas aller me poser dans la vallée du Rhône. J’essaye d’être patient, regagne un peu de hauteur en faisant des 8 au-dessus des arbres dans une zone ascendante. Puis j’atteins tout juste le champ qui me faisait de l’œil. Champ en dévers, parsemé de buissons épineux.. Un plaisir d’en sortir minutieusement la voile et les suspentes pendant de longues minutes.

Je regarde rapidement la carte. Je suis à 1300m. Je pars dans un vallon qui est à l’aplomb de mon atterrissage. Après une jolie randonnée qui me fait traverser une sorte de gorge avec des falaises calcaires puis une zone d’alpages, je me retrouve sur un petit dôme 900 mètres plus haut.

Il est 17h30. Est-ce que je dois bivouaquer ici ? Je n’ai quand même pas beaucoup avancé aujourd’hui… Et puis devant moi, de belles falaises orientées ouest qui me rappellent celles de Pormenaz en version XXL. Alors GO !

La lumière de fin d’après-midi est belle, l’air est doux, c’est calme. Même le son du vario ne viendra pas troubler cette tranquillité ! Je serai donc posé en fond de vallée 25min après avoir décollé. 

Gros coup au moral. Le soleil se couchera bientôt et je n’ai pas l’envie de faire une longue marche de nuit (je ne sais d’ailleurs pas où je pourrais aller). La masse d’air était de plus en plus stable aujourd’hui et elle le sera encore plus demain, ce qui ne me motive pas vu les difficultés que j’ai eu à voler aujourd’hui. Déçu, je décide de rentrer en stop à Chamonix. 

Quelques jours pour prendre un peu de recul sur cette journée, se dire que le vol bivouac n’est pas une somme de vols de distance et qu’il faut l’aborder tout à fait autrement. Puis un petit cross en chartreuse et la motivation est de nouveau là. Je suis prêt à repartir, avec une stratégie et un état d’esprit plus adapté.

tracé en 3D du parcours en parapente de la première tentative

Lien vers la trace du premier vol

Jour 1 – Voler plus haut pour voler plus loin

8 septembre. La direction ne change pas, ça sera la Suisse. Cette fois, j’ai une petite semaine devant moi. Je prépare un sac avec de l’autonomie en nourriture pour 5 jours. Je me dis que je finirai bien dans un fond de vallée un moment ou un autre et ça sera l’occasion de se ravitailler.

Direction Planpraz de nouveau. La journée s’annonce belle. Il y a pas mal de monde au décollage. La convection tarde à se mettre en place et personne n’ose se jeter le premier (surtout pas moi!!). Le top départ sera donné à 12h10. Cette fois-ci je mets un peu plus de temps à passer au-dessus du Brévent mais la suite est plus simple. Je traîne toujours un peu dans la partie nord du massif des Aiguilles Rouges, décidément je suis fâché avec ce secteur.

Le raccrochage à la Loriaz est immédiat. Un peu de pression qui retombe ! Cheminement jusqu’aux Perrons de Vallorcine où j’enroule un moment avec un vautour. Superbe instant pendant lequel j’observe le maître et essaye de faire de mon mieux pour rester à son niveau. Traversée au-dessus des eaux émeraudes du lac d’Emosson. Je rejoins le Luisin sans problème mais avec une certaine appréhension. Faire un bon gain d’altitude avant de traverser au-dessus de Martigny est primordial. Mais aujourd’hui tout semble fonctionner comme sur des roulettes. Je remonte le long de la face SW du Luisin puis attrape un thermique que je ne lâche pas. La vue sur le lac de Salanfe et les dents du midi est superbe. Le nuage au-dessus de moi est disloqué. Chaque nuelle qui le compose se trouve à une hauteur différente des autres. J’attends d’avoir la tête bien enfoncée dans la plus haute d’entre elles avant de me décider à partir. 3050m, je suis 500m plus haut que la dernière fois, me voilà plus serein pour cette transition mais une petite tension demeure.

J’arrive en face à 2000m alors j’avance dans la vallée du Rhône en volant sous les sommets. A l’aplomb de la Tête du Portail, je trouve une ascendance qui me permet de me hisser au niveau de la crête. Je poursuis donc jusqu’à la base du Grand Chavalard. Le thermique de la délivrance m’y attendait. Je m’élève de plus de 1000 mètres le long de son arête SW. 3200m d’altitude ! Ça y est,  je suis complètement soulagé et je vais pouvoir avancer sans pression à partir de là. Mon objectif est de rester toujours haut, ne pas fuir en avant et préférer se poser en altitude plutôt que de tenter une option hasardeuse qui m’emmènerait au fond de la vallée du Rhône.

Je domine pour la première fois cette région qui m’est totalement inconnue. En contre bas, je peux voir le vallon dans lequel j’avais randonné quelques jours auparavant et la bosse depuis laquelle j’avais décollé. Avant d’atteindre le haut de l’ascendance, j’essaye d’établir un plan de vol. Quelques ascendances sont marquées par de petits cumulus. Je glisse vers le nord pour rejoindre une ligne de crête qui court du sud-ouest vers le nord-est. Je la quitte au niveau du Petit Muveran pour sauter sur un relief isolé sur lequel je peux refaire un plein d’altitude avant de poursuivre vers une autre ligne orientée SW/NE.

survol de l'oberland bernois

La navigation n’est pas évidente ici. Le relief est fracturé, de nombreuses options sont possibles. Il n’y a pas une grande ligne qui s’étire le long de la vallée comme on peut avoir dans les Aravis, les Bauges ou en Chartreuse. Ici, les crêtes se rassemblent puis se séparent, changent d’orientation ou plongent vers un fond de vallée. Celle sur laquelle je m’appuie se meurt dans un trou au pied des Diablerets. Je suis obligé de faire une transition par dessus une petite vallée. En face, je peine à m’extraire au-dessus du relief. Je survis dans du dynamique pendant 15 minutes. J’hésite plusieurs fois à me poser dans les pentes herbeuses au-dessus desquelles je fais des aller-retours. Quelques mètres en dessous c’est la forêt, et plus bas encore, le fond de vallée. Pas d’option intermédiaire pour atterrir ! Je me fixe une altitude limite en dessous de laquelle je devrais me poser. Mais lors d’un passage au-dessus de la crête un peu plus haut que les autres, j’attrape une ascendance que je peux alors me permettre de d’enrouler. Elle est assez étroite et surtout très couchée. Alors je mets de l’angle et enroule serré pour ne pas en sortir. Concentré, je ne veux pas laisser partir ma chance. Une petite dizaine de tours plus haut je sors de l’influence de la brise. Je saute sur un autre thermique qui est plus droit puis je me retrouve de nouveau à 2900 mètres. Mais le confort de cette situation est de courte durée car il faut de nouveau traverser une vallée. Celle-ci mène au col de Sanetsch par lequel s’écoule le flux de NE. Je m’en aperçois lorsque j’arrive en face. Je suis scotché au-dessus d’un pierrier, sous une face ouest. Face au col, je suis presque sur place. Il y a quelques bulles thermiques teigneuses mais il m’est impossible de les enrouler. Ma hauteur sol est faible et le vent me repousse contre la paroi. Alors je fais volte face et glisse avec le vent en direction de l’est en contournant l’obstacle au lieu de le franchir.

Devant moi, se dresse une grande falaise rocheuse de 500 mètres de haut. Elle prend naissance dans la vallée du Rhône et monte jusqu’au Wildhorn à 3250m, me barrant complètement la progression vers l’est. Il n’y a pas moyen de l’éviter, il faudra impérativement passer par-dessus. Je suis au niveau des pentes d’éboulis, plus bas que la base de la falaise. Je n’y crois pas trop. 

En dessous de moi, un petit vallon. Une rivière y serpente et brille sous le soleil. Sur sa rive s’étale une plage d’herbe. L’endroit a l’air paisible et idéal pour bivouaquer. Alors je commence à m’en rapprocher en longeant le pied de la falaise. Mais mon vario commence à biper. Je fais quelques 8 et atteint la base de la paroi rocheuse puis je dépasse le niveau de la crête après quelques aller retours supplémentaires. Me voilà 600 mètres au-dessus de mon lieu de bivouac, je peux finalement continuer ma progression. Je suis presque déçu de ne pas dormir dans cet endroit, j’espère que je trouverais aussi bien plus loin.

Je passe au pied du Wildhorn, au niveau des Audanes. Le paysage est très minéral. C’est une sorte de plateau avec des dalles moutonnées que la lumière de fin de journée met en relief.

paysage des alpes suisses survolé en parapente

Puis je passe le lac de barrage de Tseuzier. Je n’arrive pas à ressortir au-dessus des sommets. Ici, de nouveau, le flux de NE rentre de façon importante. Je commence à être fatigué et j’ai dû mal à analyser. Je poursuis donc sans trop m’arrêter dans ce secteur où je me fais un peu secouer.

J’arrive de nouveau à une barrière rocheuse qui s’oppose à ma progression. Cette fois, je ne crois vraiment pas que j’arriverai à la franchir. En dessous de moi, j’ai l’impression de revoir la même configuration que le premier spot de bivouac que j’avais repéré. La rivière et le grand plat d’herbe m’appellent. Je repère un chemin qui me permettra de franchir la barrière rocheuse demain matin pour aller décoller sur des faces est. Alors je m’abandonne à l’idée d’aller m’allonger dans la prairie au soleil. Je rends les armes sans même essayer de me hisser au-dessus de l’obstacle. Quelques virages et j’arrive au-dessus de l’herbe, je plane un long moment à quelques centimètres du sol, on dirait que mon parapente ne souhaitait pas arrêter de voler… 

Mes pieds touchent enfin le sol après 5h de vol et 75 km parcourus (mon 5e plus grand vol!). Petit soupir de contentement. Je laisse ma voile s’affaler sur le bord d’attaque, je n’ai pas la force de faire mieux.

Je plie le parapente et installe rapidement le campement. Il me reste encore un peu de temps pour profiter du soleil en dévorant des pistaches grillées au poivre. Les rayons chauffent encore bien, cette fin de journée est vraiment agréable.

Puis le soleil se cache et il faut vite remettre les affaires chaudes. Préparation d’un repas gourmet : semoule à la soupe aux champignons et parmesan. Un régal !

Chargement des différents appareils avec la batterie. Check météo. Recherche d’un décollage pour le lendemain matin et d’un chemin d’accès.

Au loin, je peux voir le coucher de soleil sur le Mont Blanc, le départ, la maison. De l’avoir en visuel me donne l’impression que je ne suis pas parti bien loin. D’un autre côté, il semble distant. Demain matin je lui tournerai le dos et continuerai d’avancer jusqu’à le perdre de vue. Plus de repères, c’est l’aventure !

Il ne reste plus qu’à aller se coucher sous le tarp, heureux de cette belle journée. Je ne mettrai pas longtemps à m’endormir…

coucher de soleil sur le mont blanc depuis le bivouac

Au milieu de la nuit une énorme détonation, très sèche, comme un coup de canon, a résonné dans la montagne au-dessus de moi. Des bruits d’éboulements s’en sont suivis. Je me suis réveillé dans un sursaut violent, mon cœur a semblé transpercer ma poitrine. Je scrute la montagne éclairée par la lune pour voir si je suis sur la trajectoire de l’éboulement mais il semble s’être arrêté plus haut. Je n’ai pas su dire si quelque chose était venu impacter la roche ou si celle-ci avait implosé…

Lien vers a trace du vol

Jour 2 – De la stabilité au vol rêvé

Je prends le temps de me réveiller. Je ne suis pas vraiment pressé pour démarrer la journée. Hier soir, j’ai pu repérer sur la carte le chemin qui m’emmènerait à un potentiel décollage qui se situe seulement 600m plus haut. Petit dej, puis je remballe mes affaires encore humides de la rosée. Encore à l’ombre, rien n’a séché. J’attaque tranquillement la montée jusqu’au col de l’Arpochey. Il marque la frontière entre le petit vallon sauvage que je quitte et la station de Crans Montana. J’arrive au sommet de Bellalui où je suis accueilli par un troupeau de chèvres. Il est encore tôt alors je déballe mes affaires au soleil pour les faire sécher. Allongé dans cette pente herbeuse, idéalement orientée vers le SE, j’observe les sommets de 4000m situés de l’autre côté de la vallée du Rhône. Parmi eux, la Dent Blanche au sommet de laquelle j’irai avec Avelaine quelques jours plus tard.

Les chèvres et les sommets du valais suisse

La journée a l’air longue à se mettre en route. Et ici, pas de pilote fusible pour voir si ça fonctionne. Le ciel est bleu pâle… Pas un seul cumulus pour m’encourager…

J’attends 12h30 pour me lancer. Premier challenge de la journée, faire un gain d’altitude assez important pour pouvoir passer par-dessus le câble du téléphérique qui monte au sommet de la Pointe de la Plaine Morte. Pas d’ascendance devant le décollage.. alors je m’avance au dessus de petites falaises. J’y trouve un thermique pas très organisé que j’ai dû mal à conserver. Je le perds souvent et bataille pour le retrouver. Après l’avoir quitté une nouvelle fois, je décide de me lancer dans la transition alors que je n’ai pris que 150m d’altitude. Je franchis le câble et j’arrive de l’autre côté de la station, au petit Mont Bovin. Je suis proche du sol et des remontées mécaniques me bloquent le passage. Je décide de me poser pour prendre le temps de réfléchir à la suite.

J’hésite entre deux décollages. J’opte pour celui qui permettra de passer sur la face sud du petit Mont Bovin. Cette petite proéminence rocheuse semble avoir un bon potentiel pour canaliser/déclencher les thermiques. Mais quand je passe devant, rien ne bouge. Alors je continue le long des falaises et rentre à l’intérieur de la vallée suivante. Je passe alors vers le décollage qui était ma deuxième option mais 200 mètres en dessous ! Le petit cirque dans lequel je me trouve est constitué de deux étages de petites falaises de 100m séparées par une pente herbeuse. Je me retrouve maintenant au même niveau que la falaise du bas, proche du fond de la vallée alors que j’aurais pu démarrer le vol bien plus confortablement en dominant ces reliefs. Je continue de m’enfoncer car mon vario reste silencieux. Je viens alors buter au fond de ce cirque. Un appui dynamique sur une petite butte me permet de gagner quelques mètres. Je me jette sur la falaise qui se situe en arrière dans l’espoir de remonter le long de celle-ci mais rien n’y fait. Je poursuis ma route, demi tour direction la sortie du vallon mais par le versant ouest cette fois-ci. Je chemine proche du relief pour trouver le meilleur appui possible. J’essaye d’avancer au maximum tant que je suis à l’altitude des prairies. Je jette des coups d’œil frénétiques sur ma gauche pour repérer des chemins qui me permettraient d’atteindre les sommets au-dessus de moi. Puis je vois subitement arriver une zone forestière en face de moi. En quelques secondes, la décision est prise de se poser dans la pente.

Il est 13h30. Maintenant les heures comptent alors je me dépêche de remballer et je grimpe les 400m qui me sépare d’un sommet qui me permettra de basculer dans la vallée suivante. Je décolle sur la face ouest d’un dôme rocailleux puis je le contourne pour passer sur son versant sud. Même scénario qu’au précédent vol… Aucune ascendance ne fera frémir les plumes de mon aile. Je poursuis ma route vers l’est, traverse un autre cirque, vole proche du sol pour essayer de trouver un appui dans la brise de pente et atteint l’entrée de la vallée de Leukerbad. Je suis à 2300m d’altitude et j’ai deux options. Soit traverser directement au risque d’arriver trop bas sur les versants ouest, au niveau de la forêt, et de me voir contraint de poser au fond de la vallée. Soit m’enfoncer dans la vallée de Leukerbad en longeant les falaises orientées est au risque que ces dernières, déjà ombragées, ne soient plus actives et que je me vois contraint de poser au fond de la vallée. C’est ma curiosité pour les imposantes falaises qui tranchera. Je me glisse timidement sous cette muraille massive. La première partie est orientée NE. Tout est calme, je n’entends que l’air dans mes oreilles. Solitude dans cet endroit imposant. Presque angoissant de se sentir écrasé comme ça… Mais aussi plein d’admiration pour le lieu. Je contemple les canyons qui creusent la roche. La falaise est irrégulière. Alternance de bombements, dépressions et de promontoires ciselés dans le calcaire.

Je me trouve plutôt bas, au pied de la falaise principale, au niveau des pierriers. Mais la vallée s’incurve et les falaises s’orientent SE. Pour la première fois de la journée je trouve des ascendances plus consistantes. Quelques 8 me font monter jusqu’à la paroi. Puis j’attrappe un thermique régulier que je ne quitte pas. Je reste entre +1 et +2 m/s moyen mais cela me parait énorme compte tenu de la journée passée. Quel bonheur de se voir monter à chaque tour ! Vers 2500m la falaise fait une cassure. Au-dessus d’elle, un amphithéâtre suspendu. Pas de gradins mais des pentes d’éboulis qui se jettent dans le vide. Dans le ciel, de jolis cumulus (enfin!) qu’il faut que j’atteigne. Mais d’un coup les conditions deviennent plus sportives. La Soar fait quelques attaques mais tout est contrôlé machinalement. A force de passer du temps sous le parapente, tout devient instinctif, je n’ai plus à placer mon attention sur le pilotage de l’aile qui devient une extension de moi. Libéré de la contrainte matérielle, tous mes sens sont tournés vers mon environnement et le plaisir de vol en est décuplé. Vu la dérive des nuages là haut, je comprends que je suis sous le vent et que je viens d’entrer dans la zone affectée par les turbulences. Je monte encore un peu mais j’ai peur d’aller plus haut donc je n’irai pas jusqu’au plafond. Je traverse au-dessus de Leukerbad. Ça démarre plutôt mal avec une bonne dégueulante mais j’arrive en face avec un peu de marge. Je suis à hauteur de l’arrivée du téléphérique. J’hésite à poursuivre mais je préfère encore une fois me poser pour ne pas prendre de risque. Je repère une crête 200m plus haut qui pourrait me servir de décollage. Il est presque 16h, j’essaye de ne pas trop traîner. Sur le chemin, je peux observer quelques parapentes qui viennent d’arriver depuis l’est (là où je vais). Ils sont un peu plus bas que moi et ont l’air d’avoir dû mal à prendre de l’altitude.

Je monte vers mon décollage et une aile passe juste à côté de moi. Elle s’extrait facilement de la crête d’où je pensais m’envoler ce qui me donne bon espoir!

C’est le 4e vol de la journée. Ça souffle bien et j’attends une accalmie pour décoller. A mon tour, je monte facilement en dynamique le long de la crête qui m’emmène au pied d’un sommet de 3000m. Les thermiques sont bien couchés et je cherche un moment avant de trouver celui qui m’enverra à 3400m, au nuage. Quel plaisir de prendre enfin de la hauteur par rapport au sol, de voir ce paysage inconnu s’agrandir d’un coup sous soi. Les options de parcours s’ouvrent, le temps n’est plus une contrainte et le mental peut se reposer.

Le décor est très minéral, la roche est parfois teintée de rouge. Je croise deux autres voiles qui viennent de l’est. Elles font demi tour ici et nous volerons plus ou moins ensemble sur le reste du parcours. Cela me permet de relâcher un peu. Le parcours est bien balisé par les cumulus, ils s’en forment régulièrement de nouveaux, l’activité est encore forte. Les transitions sont une formalité puisque les raccrochages se font toujours au-dessus des sommets, sous les nuages. Les varios moyens oscillent entre +2 et +3. Tout devient facile. Il n’y a plus qu’à profiter du spectacle. Après m’être égaré dans le blanc d’un nuage, je ressors à 3800m. Sous moi, c’est un paysage de glaciers et de hauts sommets qui s’esquisse. Je rejoins une ligne de crête à l’aplomb du Breithorn. Je la suis vers le nord, en m’enfonçant vers les hautes montagnes… J’ai une idée en tête pour finir ce vol en beauté. 

Je poursuis mon rêve dans lequel chaque décor apparaît d’abord lointain, à travers les nuelles qui se déchirent, pour se faire de plus en plus précis et rempli de détails, à tel point qu’il semble impossible de l’embrasser dans sa totalité. Je navigue à 3500m d’altitude. La lumière est un peu plus rasante et les ascendances faiblissent. Mais j’ai assez de hauteur pour m’enfoncer encore un peu dans le royaume des glaciers. Je surveille mon altitude et celle de la crête en face qu’il me faut franchir si je ne veux pas poser au milieu des crevasses. Je traverse… C’est le survol du Glacier d’Aletsch dans la lumière du soir. Un moment incroyable qui vient récompenser la persévérance que j’ai dû avoir pendant cette journée. Des images et vidéos de parapente au-dessus du plus grand glacier d’Europe qui m’ont fait rêvé, j’en ai vu un paquet. Le survoler pour la première fois, en étant venu de Chamonix simplement en marchant et en volant, a une saveur particulière. Je ne peux m’empêcher de sourire.

doudoune cumulus incredilight endurance en vol en parapente

Cette langue glaciaire est immense et plate. Rayée par des bandes noires, continues sur toute sa longueur. Mon parapente continue de flotter dans l’air, la perspective sur le glacier évolue, je le scrute avec intensité, comme si je voulais l’imprimer dans ma mémoire. Puis il disparaît de ma vue. Toute cette distance parcourue, ces heures d’efforts physique et mental pour savourer quelques précieuses minutes d’extase. Le vol libre permet d’être de passage dans un espace pour lequel la nature ne nous a pas doté des droits d’entrée. C’est la fugacité de ces intrusions qui les rend intenses et nous donne envie de re-décoller à peine le sol retrouvé.

Je passe la crête et me pose dans les alpages situés au-dessus de Fiescheralp. Un plateau en altitude qui sera parfait pour le bivouac. Je suis juste à côté d’un grand site de départ en cross (là d’où venaient tous les parapentes croisés aujourd’hui). Je monte le tarp juste à temps pour profiter du coucher de soleil. La journée a été intense, bien épuisante. 50km parcourus en ligne droite avec 4 vols, 3 randonnées et des paysages grandioses, de la moyenne à la haute montagne.

Les cloches des vaches joueront ma berceuse de ce soir.

tarp trek forclaz pour le vol bivouac en parapente
préparation du repas au bivouac devant le tarp

Liens vers les traces du vol 3 et du vol 4 de la deuxième journée

Jour 3 – Quitte ou double

Le soleil sort à l’horizon et ses premiers rayons viennent directement réchauffer le duvet. Un réveil bien agréable… Je prends le temps de me lever, faire sécher les affaires, ramasser d’énormes myrtilles pour le petit déj. 

Il est temps d’établir un plan pour cette journée.

Il me reste trois jours devant moi. Les prévisions pour demain ne sont pas terribles en Suisse. Ma première idée était de poursuivre sur l’axe sur lequel je me trouve en passant les cols de Furkapass et d’Oberalppass pour ensuite avancer le long de la vallée de Disentis. Mais en allant dans cette direction, la journée de demain allait se dérouler intégralement à pied sous la pluie. Et le jour d’après, il faudrait déjà réfléchir au moyen de rentrer à Chamonix…

Mais plus au sud, en Italie, dans la région de Bellinzona, les conditions de vol semblent bonnes pour les deux jours à venir. Il me faut alors franchir aujourd’hui le Nufenenpass pour me retrouver sur le versant sud de la chaîne des Alpes. Un beau challenge car l’activité thermique, à l’image des jours précédents, va tarder à se mettre en place et des orages sont prévus en milieu d’après-midi… Il va falloir avancer efficacement pour franchir le col à temps.

3km me séparent du décollage de Fiesch. Je ne sais pas précisément où il se situe. Je m’installe à côté de l’arrivée d’un télésiège puis j’aperçois des parapentistes qui se regroupent 30 mètres plus bas. Il y a une petite rubalise, ce doit être le décollage officiel. Je reste en haut pour observer les locaux. La longue attente commence. De temps à autre des impatients se lancent, se maintiennent à hauteur du décollage puis finissent par plonger au fond de la vallée.

11h30, un pilote arrive à s’extraire. Ceux qui sont encore au déco (et moi aussi) s’installent dans leur cocon prêt à le rejoindre. J’attendrai qu’un pilote passe plus haut que moi pour décoller. L’extraction n’est pas évidente. Nous sommes deux, trois pilotes à nous gêner en faisant des 8 dans une petite zone. Je patiente puis parviens à enrouler un thermique qui me permettra de faire un gain d’altitude de 900m ! Me voilà de nouveau en train de dominer le glacier d’Aletsch.

e glacier d'Aletsch vu depuis le parapente.
Une vue aérienne du glacier d'Aletsch

Je profite du moment à tel point que je perds parfois le thermique.  Je cherche à m’avancer le plus possible sur la langue de glace pour profiter de ce décor. Puis je continue de monter avec les autres pilotes, jusqu’à 3500m avant de les suivre dans la première transition. Je les verrai filer rapidement devant moi avec leur aile de compétition et me retrouverai seul pour la suite du parcours.

Je traverse au-dessus du Fieschergletscher et raccroche une ligne de crête que je suis et me qui me conduit à un magnifique point de vue sur le Finsteraarhorn. Cette belle pyramide qui culmine à 4274m a son sommet qui joue avec les nuages.

Le finsteraarhorn et son sommet qui est dans les nuages au dessus du glacier

Je continue d’avancer assez facilement et de découvrir ces beaux paysages des Alpes suisses.

Vient le moment où je vais devoir traverser la vallée du Rhône. Depuis le début de mon voyage, je vole dans les montagnes situées au nord de la vallée. Je vais devoir passer au sud pour essayer de franchir le Nufenenpass qui m’ouvrira les portes sur l’Italie. 

Un peu dans la précipitation, je ne prends pas le temps de bien faire le plafond et pars assez bas, de 3200m. C’est parti pour une traversée de la vallée qui durera 10 minutes. En face, la base des nuages est bien au-dessus des sommets, ce qui me fait penser que passer le col ne sera pas problématique. Ce qui m’inquiète le plus, c’est mon raccrochage car je n’arrive pas très haut. Je m’engage dans l’entrée de la petite vallée étroite qui mène à mon objectif. En dessous de moi, je vois les voitures s’élever sur la route qui serpente jusqu’au col. 

Finalement je trouve facilement un thermique au-dessus des falaises. Il est bien couché, je gagne 200m puis le perds. J’en trouve un meilleur mais tout aussi couché qui me fait gagner 300m. J’ai l’impression de commencer à le perdre alors je le quitte précipitamment. J’aurais sans doute pu le garder jusqu’au nuage qui était encore loin de moi. Je m’avance dans la vallée, en direction du col, croyant pouvoir trouver des appuis et des thermiques qui me le feront franchir facilement. Mais c’est la désillusion. Je ne trouverai que des dégueulantes ou des bribes de thermiques beaucoup trop turbulentes.  Je fais demi-tour et arrive à la sortie de la vallée encore plus bas que lorsque j’y suis entré. Je me jette plus au nord, sur les reliefs qui ferment la vallée du Rhône pour essayer de me refaire. Mais je continuerai de descendre jusqu’à me poser en bas, à Oberwald vers 13h30. 2h en l’air pour ce dernier vol et encore 30 km de découverte de montagnes, lacs et glaciers des Alpes suisses.

Le temps de plier ma voile et je regarde au-dessus de moi, les nuages ont déjà bien gonflé et pris une teinte sombre. Il m’est maintenant impossible d’atteindre une zone qui sera volable demain. Ca sera train jusqu’à Martigny puis retour en stop à Chamonix.

Lien vers la trace du vol de la dernière journée

Retour d’expérience de ce premier vol bivouac

Evidemment cette première expérience a été extrêmement riche. Voilà quelques points qui m’ont marqué.

La première chose que je retiens est l’incroyable dépense d’énergie mentale. Il n’y a quasiment aucun temps de repos pour le cerveau quand on part dans un massif qu’on ne connait pas du tout. Evaluer l’aérologie, élaborer un plan de vol, penser aux plans B, rechercher des zones pour se poser en altitude, rechercher des zones de bivouac, etc. Et toute cette analyse à refaire après chaque transition. D’où l’importance d’être à l’aise sous sa voile pour ne pas s’en soucier, de savoir s’arrêter tôt dans la journée si on sent que la fatigue prend le dessus (mieux vaut assurer un bon spot de bivouac que de finir au fond de la vallée car on a trop poussé alors qu’on n’était plus assez lucide).  Le soir, le sommeil vient vite…

Il vaut mieux être très modeste dans ses ambitions. A cause de la fatigue accumulée, il est difficile d’être à 100% de sa forme donc à 100% de ses performances de vol. Naviguer dans l’inconnu sans préparation fait aussi avancer beaucoup plus lentement. Dans mon cas, je pense que prendre une moyenne de 30/40 km par jour dans la prévision d’un itinéraire est une bonne valeur.

Tester tout son matériel sur des petits vols à la maison est primordial et m’a permis de corriger pas mal de détails (placement du panneau solaire par exemple).

Il ne faut pas hésiter à se reposer en montagne! Pour prendre le temps d’étudier un itinéraire, pour attendre qu’un voile nuageux passe sans perdre d’énergie à voler en mode survie, pour se reposer ou manger un bout. Il faut oublier l’esprit vol de distance.

Le choix de la période est aussi déterminant. Septembre est moins propice aux orages mais la stabilité, souvent présente, ne facilite pas la progression. Je vais tenter ma prochaine aventure en Juillet en espérant avoir des conditions plus instables, quitte a vivre quelques fins de journées humides !

Pas de règles, pas de style imposé. Facilement combinable à d’autres pratiques de la montagne. Le vol bivouac est une discipline multiforme qui n’a de limites que l’imagination de chacun. 

Vivement le prochain ! Et cette fois pour une à deux semaines j’espère…

 

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